A Tanlili, village du Burkina Faso, les paysans s’organisent pour lutter contre le
changement climatique. Des groupes locaux expérimentent des pratiques afin de
préserver leur autonomie agricole.
de la commune de Zitenga, province d’Oubritenga, au milieu du plateau
central du Burkina Faso. En cette saison sèche, les hommes rassemblés
par le groupe de recherche-action Diobass écologie et société (DES) préfèrent
s’asseoir dehors pour deviser devant un bâtiment de pisé qui abrite des dizaines
de sacs soigneusement répertoriés. Nul n’ignore qu’à quelques dizaines de
kilomètres vers le nord, l’armée burkinabé fait face aux incursions des rebelles
islamistes et c’est à mi-voix que l’on rappelle qu’en septembre dernier à
Barsalogho, près de 400 villageois ont été massacrés par les rebelles venus du
nord.
Ici, au milieu de cette savane jaunie, on préfère se concentrer sur un combat à la
mesure des paysans : lutter contre les effets du changement climatique. En
préambule cependant, le vieil Issa, frissonnant dans son veston râpé, tient à
rappeler que le climat n’explique pas tout : « Autrefois, à Tanlili, il y avait moins
de monde, moins de bétail. Aujourd’hui la population a augmenté, – plus de
naissances, plus de réfugiés chassés par les combats, plus d’arbres coupés. Par
conséquent, le couvert forestier a diminué et le sol s’est appauvri. Le régime des
pluies a changé : autrefois on semait dès fin mai-début juin, aujourd’hui il faut
attendre le mois d’août et fin septembre, c’est déjà fini. Cette année, l’arbre à
karité n’a pas produit ses fruits et nous avons dû renoncer à produire du beurre
de karité, alors que cette spécialité du Sahel est très appréciée… »
Les organisations paysannes membres de DES ont aussi en leur sein des groupes
de recherche et de réflexion et Parfait Saka, l’animateur qui les conseille, tient à
ce que tout le monde ait droit à la parole. Lente, prudente, est la parole
paysanne. Mais lorsqu’elle s’exprime, les observations s’additionnent : « Le sol
s’est appauvri… Autrefois, les herbes qui poussaient sur les parcelles laissées en
jachère empêchaient les eaux de ruisseler et de fuir. D’ailleurs, les jachères ont
disparu, désormais nous cultivons toute l’année mais les rendements
diminuent… »
Groupes de recherches
Des hommes mûrs se souviennent des experts étrangers qui naguère défilaient
dans le village : « Ils voulaient nous imposer des semences sélectionnées et,
catalogue à l’appui, nous promettaient qu’elles auraient un meilleur rendement.
Ils arrivaient aussi avec des sacs contenant des engrais chimiques. Ceux d’entre
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Ils arrivaient aussi avec des sacs contenant des engrais chimiques. Ceux d’entre
nous qui ont cru au progrès qu’on leur promettait ont dû déchanter. » Longue est
la liste des déconvenues : « Les pesticides coûtaient cher, certaines semences
anciennes ont disparu et les nouvelles, lorsqu’on les semait à nouveau, ne
donnaient presque plus rien. »
Voici une quinzaine d’années, un agronome belge, Hugues Dupriez, a pris le
temps de s’asseoir au milieu des paysans, le temps aussi de marcher à leurs côtés
dans les champs. Il a entendu leurs doléances mais surtout il les a écoutés
lorsqu’ils expliquaient leurs anciens savoirs, ces pratiques qui permettaient de
vivre dans ces régions frappées par des sécheresses récurrentes. S’inspirant du
nom d’une vallée sénégalaise appelée Diobass, il a lancé Diobass écologie et
société composée de « groupes de recherches paysannes » animés au Burkina
Faso par Parfait Saka. Géographe de formation, ce dernier a délaissé son bureau
pour reprendre le chemin des campagnes et se mettre à l’écoute du savoir de ses
compatriotes longtemps négligés.
A Tanlili seulement, cinq groupes de « recherche-action » se sont ainsi
constitués, travaillant pour près de 3.000 hommes et femmes appartenant à
l’Union Namanegbzanga des groupements villageois de Tanlili. Les paysans et
paysannes assis devant nous se présentent avec fierté : « Nous formons un
groupe d’experts paysans et mettons en commun nos expériences, notre savoir.
Celui des hommes, mais aussi celui des femmes, celles qui nourrissent les
familles et qui ont parfois mieux retenu les leçons du passé. »
L’expertise est multiple et, en langue locale, le moré, les « experts de terrain » la
décrivent avec fierté : Ouédraogo appartient au groupe 3, qui lutte contre le
striga, une plante qui attaque les cultures.
Quant au groupe 5, mené par Ablassé, il a pour mission d’enrayer le
ruissellement qui emporte la terre fertile : « Sur les parcelles, nous créons des
bandes de terre de 35 centimètres. Nous y plantons des arbres comme des
acacias, qui freinent le ruissellement des eaux et fertilisent le sol. »
Ouédraogo s’agite sur son banc : il tient à nous montrer le hangar qui abrite des
sacs emplis de végétaux, herbes et feuilles soigneusement triées. « C’est ici que
nous expérimentons un compost spécial qui favorise la croissance des tomates et
des oignons. Nous avons enrichi notre compost avec de l’azote que nous tirons
de plantes locales. Nous expérimentons aussi l’urée liquide et observons ses
effets. »
Parcelles expérimentales
A propos des engrais, les paysans sont intarissables : « Nous en avons reçu, des
visiteurs, qui nous proposaient des engrais chimiques et nous proposaient des
prix d’amis ! Mais leurs produits s’avéraient efficaces pour une saison seulement.
Ensuite, c’était terminé, et à nouveau il nous fallait payer. Or, de l’argent liquide,
nous n’en avons pas beaucoup et nous avons décidé de mettre fin à cette
dépendance en produisant nos propres engrais. »
« Poussière aux pieds, vaut mieux que poussière au derrière » c’est l’un des
préceptes de Diobass légués par Dupriez et chacun le répète en souriant : en
milieu paysan, il faut bouger, marcher, faire les constats sur le terrain, au mépris
des chaussures de ville. Les « experts en sandales » nous poussent donc vers
leurs parcelles tests où se succèdent des expérimentations d’oignons et de
tomates qui poussent sur les rangées bien droites. Les calculs sont précis :
« Chaque parcelle reçoit deux kilos et demi de compost et nous attendons trois
jours pour renouveler l’opération, observer les résultats. Vingt-et-une parcelles
expérimentales sont ainsi soit arrosées d’engrais liquides soit recouvertes de
compost. Et une dernière parcelle est laissée sans apport d’aucune sorte, nous y
observons la croissance différente des légumes. »
C’est à peine si nous osons aborder la question des semences, sachant combien
les semences génétiquement modifiées suscitent la controverse. La réponse
jaillit, sans tarder, unanime. « Chez nous, ça ne marche pas. Du reste nous
faisons partie de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique. Nous
tenons à utiliser nos propres semences, celles que nous ont léguées les anciens.
Déjà nous en avons perdu beaucoup… Ce sont surtout les femmes maraîchères
qui les ont gardées, malgré l’avis des techniciens étrangers… Dans les années
2008, on nous a même proposé au Burkina des semences OGM coton,
génétiquement modifiées, mais nous avons tout refusé… »
Les paysans aiment raconter l’histoire d’une semence de petits pois, très
particulière : « Elle ne donne jamais rien, sauf une fois, tous les dix ans environ.
L’année où les autres cultures sont en échec à cause de la sécheresse : c’est alors
que cette semence produit et nous sauve… »
Au fil des années, la démarche Diobass, soutenue par l’ONG Misereor, s’est
implantée au Burkina Faso et une cinquantaine de groupes de « paysans
spécialistes » se sont organisés dans huit des quinze régions du pays. La même
spécialistes » se sont organisés dans huit des quinze régions du pays. La même
méthode simple est appliquée : « Identifier le problème, l’analyser, chercher des
solutions sur base de nos savoirs traditionnels, en interrogeant les anciens, les
jeunes et aussi les femmes… »
C’est en décembre 2024 que le Burkina Faso, dirigé par une junte militaire,
devrait quitter la CEDEAO, l’organisation régionale qui a instauré la libre
circulation et une monnaie commune aux quinze pays de la région. Seule
compte désormais l’AES, Alliance des Etats du Sahel, (Burkina Faso, Mali,
Guinée) tous en lutte contre des mouvements djihadistes venus du désert.
Accrochés à leur terroir, s’inspirant de leurs traditions, les paysans de Tanlili
courbent le dos et, comme la plupart de leurs compatriotes, ils se disent soulagés
par le départ des Français mais déçus par la baisse de l’aide internationale.
Même s’ils sont bien informés de la politique, ils observent un silence prudent :
« Tout cela se passe dans les villes… Ici il nous faut d’abord survivre et maîtriser
le climat qui change à toute vitesse…
rédiger par : la Journaliste au pôle International
Colette Braeckman (/26702/dpi-authors/colette-braeckman